Évolution de la Biodiversité⎢Brésil⎢2022
Le Paresseux
face à la déforestation
En partenariat avec Universidade Estadual de Santa Cruz
Le paresseux à crinière (Bradypus torquatus), un mammifère de 50 centimètres de long, réside parmi les cimes des arbres de la forêt tropicale atlantique brésilienne. Dans ses récits de voyage, Darwin fait fréquemment référence aux paresseux, en particulier au paresseux géant éteint (Megatherium americana), pour lequel il fut le premier à apporter des fossiles en Europe.
Darwin a longuement réfléchi aux origines de la disparition du Megatherium, bien qu’il ait hésité à le lier définitivement à l’activité humaine. Deux siècles plus tard, Bradypus torquatus, un descendant évolutif direct du paresseux géant, fait face au même destin périlleux que son ancêtre. Pour approfondir ce sujet, nous avons rejoint le scientifique Gaston Giné de l’Université de Santa Cruz pour une exploration de deux semaines au cœur de la forêt.
Jours d'Exploration
Chercheur Associé
Prises Photographiques
Heures de Vidéo
1832
L’Amérique du Sud se caractérise par la possession de nombreux rongeurs particuliers, une famille de singes, le lama, le pecari, le tapir, les opossums et, surtout, plusieurs genres d’Edentata, l’ordre qui comprend les paresseux, les fourmiliers et les tatous.
À Punta Alta, nous avons une section d’une de ces petites plaines formées plus tard, qui est très intéressante par le nombre et le caractère extraordinaire des restes d’animaux terrestres gigantesques qui y sont incrustés. […] Premièrement, des parties de trois têtes et d’autres os du Megatherium, dont les dimensions énormes sont exprimées par son nom.
– Charles Darwin, Voyage du Beagle, 1832
2022
La déforestation, liée à l’expansion urbaine et à l’agriculture, a décimé la forêt tropicale atlantique, dont la surface a diminué de 90% en deux siècles. Cela constitue une grave menace pour Bradypus torquatus, qui fait face à une perte et à une fragmentation importantes de son habitat.
La disparition du Megatherium americana est le produit de la chasse humaine et de la fragmentation de l’habitat causée par les conditions climatiques de la dernière période glaciaire. On peut craindre que le paresseux à crinière ne subisse le même sort que son ancêtre, à moins que les efforts de conservation, y compris des initiatives de reforestation, ne soient considérablement intensifiés.
1832
L’Amérique du Sud se caractérise par la possession de nombreux rongeurs particuliers, une famille de singes, le lama, le pecari, le tapir, les opossums et, surtout, plusieurs genres d’Edentata, l’ordre qui comprend les paresseux, les fourmiliers et les tatous.
À Punta Alta, nous avons une section d’une de ces petites plaines formées plus tard, qui est très intéressante par le nombre et le caractère extraordinaire des restes d’animaux terrestres gigantesques qui y sont incrustés. […] Premièrement, des parties de trois têtes et d’autres os du Megatherium, dont les dimensions énormes sont exprimées par son nom.
– Charles Darwin, Voyage du Beagle, 1832
2022
La déforestation, liée à l’expansion urbaine et à l’agriculture, a décimé la forêt tropicale atlantique, dont la surface a diminué de 90% en deux siècles. Cela constitue une grave menace pour Bradypus torquatus, qui fait face à une perte et à une fragmentation importantes de son habitat.
La disparition du Megatherium americana est le produit de la chasse humaine et de la fragmentation de l’habitat causée par les conditions climatiques de la dernière période glaciaire. On peut craindre que le paresseux à crinière ne subisse le même sort que son ancêtre, à moins que les efforts de conservation, y compris des initiatives de reforestation, ne soient considérablement intensifiés.
Première rencontre à Sapiranga
Enfin, on est dans la forêt ! Après des mois de préparation, nous sommes enfin arrivés sur le terrain pour documenter les paresseux. Ce matin, nous sommes partis de Salvador pour la ville de Praia do Forte, à une heure de voiture vers le nord.
Nous avons rencontré Gaston Giné, un scientifique spécialiste des paresseux et des porcs-épics. Il nous a amenés dans la réserve de Sapiranga, une portion de forêt protégée qui est connue pour abriter des paresseux.
C’est un endroit magnifique ! Après avoir passé autant de temps en mer, c’était incroyable de marcher au milieu d’une forêt grouillante de vie. Le bruit est assourdissant ! Les cigales, les grenouilles, les oiseaux, les sons cumulés de tous ces animaux produisent une formidable cacophonie – la musique de la vie. Quand il est arrivé au Brésil, Darwin était aussi impressionné par les sons de la forêt.
Notre objectif aujourd’hui était de trouver un paresseux dans les arbres. Après plusieurs heures de recherche, nous n’avions encore rien trouvé. La nuit commençait à tomber, et nous étions prêts à rentrer dans notre maison de location pour reprendre les recherches le lendemain.
Et c’est alors que nous l’avons vu. Perché dans un arbre, à environ une dizaine de mètres de hauteur : un paresseux. Gaston pense que c’est une femelle. Elle se gratte les poils avec ses grandes griffes, après une journée tranquillement passée à manger des feuilles dans les arbres. Nous sommes tellement contents !
Comme il fait presque nuit, nous décidons de revenir la voir demain matin avec du matériel scientifique qui servira à l’étudier de plus près.
Les recherches de Gaston
Ce matin, avec Gaston, Cécile et Maxime (le photographe qui vient de nous rejoindre), nous avons eu le plaisir de voir que le paresseux n’avait pas bougé de place ! L’occasion pour Gaston d’enregistrer plusieurs données scientifiques pour mieux comprendre le fonctionnement de l’espèce.
D’abord, il a noté les caractéristiques de l’arbre sur lequel notre nouvel ami se trouvait. Ensuite, il a relevé la position GPS, et consigné dans son carnet les faits et gestes du paresseux : déplacement, mouvements des bras, position dans l’arbre, et ainsi de suite.
Les yeux de Gaston pétillent : je vois qu’il est passionné par son travail. Pour lui, être sur le terrain au contact de la Nature, c’est la définition du bonheur. Sans doute que Darwin serait d’accord avec lui !
Nous grimpons dans les arbres
Aujourd’hui, c’est escalade ! Gaston souhaite faire des observations plus fines des paresseux, et il souhaite également obtenir des échantillons de feuilles de la canopée (la partie supérieure de la forêt). Alors, pas le choix, il faut s’équiper : un baudrier, une corde, quelques mousquetons… et c’est parti pour un peu de sport !
Les paresseux sont des animaux qui se déplacent très peu et restent essentiellement tout en haut de leur arbre. Ils en mangent les feuilles, et c’est d’ailleurs leur seule source d’alimentation. Ils ne boivent même pas d’eau : ils s’hydratent grâce à l’eau contenue dans le feuillage qu’ils dégustent.
Une fois par semaine environ, ils descendent de leur arbre pour faire caca. C’est un voyage risqué, car leur lenteur en fait une proie facile pour les prédateurs. Mais alors, pourquoi ne pas faire caca depuis les hauteurs ? Le paresseux serait donc un exemple de politesse ? En fait, les scientifiques ne le savent pas encore.
J’ai eu la chance de monter dans un arbre. C’était génial ! Cela m’a permis, ainsi qu’à Maxime, de faire de belles images. Nous étions même… un peu trop proches, quand on voit la photo 😂 On vous prépare de belles images d’un paresseux entier pour très bientôt 😇
Darwin le paresseux
Dites bonjour à Darwin, le paresseux 🦥 👀 C’est un juvénile (c’est-à-dire un jeune) d’environ 12 mois. Il y a 2 mois, il quittait les bras de sa mère pour mener sa vie. On ne peut cependant pas le considérer tout à fait adulte : ce n’est qu’à 3 ans qu’il est parfaitement autonome. D’ici là, sa mère reste à proximité (la maman de Darwin se trouvait d’ailleurs 4 arbres plus loin !).
Les paresseux sont des animaux solitaires, qui mènent une vie bien curieuse. Ils ne mangent que des feuilles, et leur métabolisme est extrêmement lent. Ils bougent ainsi à la vitesse d’un escargot. Ou est-ce l’escargot qui bouge à la vitesse du paresseux ?
C’est très émouvant de se trouver aussi proche d’un animal sauvage. Évidemment, notre scientifique Gaston était en permanence avec nous et il s’est assuré que nous ne dérangions pas notre cher Darwin. C’est d’ailleurs Gaston qui l’a baptisé du nom de notre fameux naturaliste ! Il en a même fait un dessin, que vous pouvez voir sur une des photos.
Vous avez sûrement de nombreuses questions sur le paresseux. Et vous avez raison : il y a beaucoup à en dire. Quel est son lien avec Darwin ? Comment vivent-ils ? Comment s’adaptent-ils aux changements de la forêt et aux changements climatiques ? Pourquoi devrait-on se soucier des paresseux ? J’ai beaucoup interrogé Gaston à ce sujet : ses réponses, je vais vous les retranscrire dans les jours qui viennent.
La forêt tropicale Atlantique
Où vivent donc les paresseux ? Eh bien, tout dépend de l’espèce de laquelle on parle ! En effet, il n’existe pas une, mais quatre espèces de paresseux. Parmi elles, on trouve le paresseux à collier, l’espèce à laquelle appartient Darwin (l’individu que l’on a photographié hier).
On ne trouve des paresseux à collier que dans la Mata Atlanticâ, la forêt tropicale atlantique qui se trouve au Brésil et dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Regardez la carte de cette forêt, vous comprendrez immédiatement pourquoi on l’appelle Mata Atlanticâ. Elle se trouve en effet tout le long de la côte brésilienne (et donc de l’océan Atlantique), entre la ville de Natal, au Nord, et jusqu’à la frontière avec l’Uruguay, au Sud.
C’est une forêt probablement moins connue que l’Amazonie parce qu’elle a perdu au fil des siècles une partie importante de sa superficie initiale. Il n’en reste aujourd’hui qu’environ 10% ! En cause, l’utilisation intensive de la forêt par l’homme, et notamment le développement des villes et l’agriculture.
Pourtant, la forêt abrite encore une biodiversité extrêmement riche ! On y dénombre 20 000 espèces de plantes, et plus de 2000 espèces d’animaux sans compter les insectes. Le paresseux à collier en fait partie. Sa survie dépend donc totalement de la capacité de l’homme à préserver cette Mata Atlanticâ, sa seule maison.
Une espèce vulnérable
Que font les paresseux de leurs journées ? C’est une question qui l’air toute simple, mais dont la réponse est complexe. C’est d’ailleurs le travail de Gaston d’y répondre ! Pendant 90% de leur vie, les paresseux ne bougent pas. Ils utilisent leurs puissants muscles pour s’agripper aux arbres dont ils se nourrissent. Regardez sur la photo : on voit une femelle paresseux (une paresseuse ?) suspendue par les pieds à sa branche.
Comme je vous le disais lors d’un précédent message, les paresseux ne descendent de leur arbre qu’une fois par semaine pour faire caca. Mais cela leur arrive aussi de passer d’un arbre à l’autre en utilisant des branches, ou plus rarement en rampant sur le sol à une vitesse de 3 mètres par minute. Pour vous rendre compte de cette vitesse, je vous invite vous munir d’un chronomètre et de parcourir en 60 secondes la distance que vous parcourez habituellement en 4 ou 5 pas. Vous verrez, vous allez vous ennuyer !
Pour comprendre les (rares) mouvements des paresseux, Gaston utilise parfois des « cartables GPS ». Il installe ainsi sur le dos de certains individus des petits sacs contenant un GPS qui enregistre plusieurs fois par jour la position de l’animal. L’enregistrement dure plusieurs mois, au terme desquels Gaston centralise toutes les informations recueillies sur une carte animée.
Il découvre ainsi que les paresseux ont pour la plupart un petit territoire, d’environ un demi-kilomètre carré. En fait, comme ils mangent les feuilles des arbres et qu’ils ne se reproduisent qu’une fois tous les deux ans, ils ont peu de raisons de se déplacer. Ils ont également un métabolisme très lent (le métabolisme, c’est la manière dont le corps fonctionne), et peuvent d’ailleurs faire varier leur température corporelle (entre 25 et 34°C) pour s’adapter à leur environnement.
Ces caractéristiques rendent le paresseux très vulnérable aux changements des paysages et à la déforestation. C’est en effet très difficile de s’échapper d’une forêt en train d’être malmenée quand on se déplace à 3 mètres par minute ! Les constructions humaines comme les routes ou les oléoducs qui parcourent la forêt rendent aussi leur vie compliquée, car elles leur barrent la route quand ils cherchent à se reproduire, ou tout simplement à changer d’arbre pour se nourrir. C’est ce que l’on appelle la fragmentation de la forêt.
Gaston essaie d’aider les paresseux en construisant des ponts au-dessus des routes. Ainsi, il espère aider les animaux sauvages à franchir ces frontières artificielles. On en voit un sur une des photos ! Évidemment, rien ne remplace une forêt saine et non fragmentée, mais ce genre d’initiatives est tout de même positif.
La déforestation
Qu’est-ce que les paresseux redoutent ? Pendant que nous étudions le paresseux sous toutes ses coutures, je remarque que nous entendons souvent des sons produits par l’homme alors que nous sommes en plein milieu de la forêt. De la musique qui résonne au loin, le passage d’une voiture, le bruit de bulldozers. On les entend parfois très distinctement, et ces bruits nous rappellent quelles menaces pèsent sur les paresseux. Le paresseux a toujours partagé son habitat avec de nombreux animaux.
La présence de l’homme dans la Mata Atlântica ne date pas d’hier : l’Homo sapiens peuple l’Amérique du Sud depuis plus de 10 000 ans. Mais notre remarquable ingéniosité nous a récemment amenés à avoir un terrible impact sur les écosystèmes. Ainsi, dans la région de Praia do Forte où nous nous trouvons aujourd’hui, il existe de nombreux chantiers de condominío (des zones résidentielles) qui grappillent progressivement des morceaux de forêt.
Les paresseux sont lents : ça, vous le saviez déjà. Lors du post précédent, je rappelais qu’ils peuvent se déplacer à raison de 3 mètres par minute. Naturellement, ils ne sont pas de taille à affronter les énormes bulldozers qui creusent la Mata Atlântica pour poser les fondations des futures maisons. C’est la déforestation et la fragmentation de leur habitat qui sont les plus grandes menaces pesant sur les paresseux.
Le futur du paresseux à crinière
Découvrir la forêt avec Gaston est un véritable privilège. Sa passion pour les paresseux est contagieuse : toute l’équipe connaît maintenant beaucoup mieux cet animal. Et vous aussi, j’espère ! On a adoré le suivre dans la forêt et l’accompagner dans son travail de scientifique.
Qu’a-t-on appris avec Gaston ?
Pour répondre à cette question, revenons sur le lien entre Darwin et le paresseux. En 1832, Darwin a déterré le fossile d’un paresseux géant, nommé Megatherium americana. Cet animal faisait 10 fois la taille d’un paresseux actuel, et son poids pouvait atteindre 4 tonnes. Darwin était fasciné par les ressemblances entre cet animal disparu et certaines espèces vivantes aujourd’hui, comme le paresseux, le fourmilier ou le tatou. Cette observation va l’amener à l’idée d’ancêtre commun, un des piliers de la théorie de l’évolution.
Le Megatherium a disparu de la surface de la Terre il y a environ 10 000 ans. Cette espèce s’est éteinte pour deux raisons. La première, c’est un changement climatique qui, à l’époque, a conduit à une fragmentation naturelle de son habitat. La deuxième, c’est que le paresseux géant était chassé par l’homme.
Alors, le paresseux actuel risque-t-il de disparaître, comme son ancêtre le Megatherium ? Nous avons vu, lors des posts précédents, que lui aussi connaît des problèmes liés à la fragmentation et à la perte de son habitat.
Selon Gaston, les changements que l’homme produit dans la forêt sont tellement rapides que le paresseux aura bien du mal à s’y adapter. Cela dit, à l’inverse des hommes d’il y 10 000 ans, nous disposons de nombreux outils pour comprendre les paresseux et trouver des solutions pour les protéger. Par exemple, Gaston a créé une carte qui indique quelles parties de la Mata Atlântica doivent être protégées en priorité, et comment.
Les outils de préservation de l’environnement existent : il nous faut maintenant les utiliser.
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