Évolution de la Biodiversité⎢Îles Malouines⎢2023

Les forêts de kelp
d’Atlantique Sud

Les forêts de kelp

En partenariat avec South Atlantic Research Institute

Lors des longues explorations cartographiques du HMS Beagle, Charles Darwin découvre l’écosystème des forêts de kelps, dont le rôle d’habitat pour la biodiversité l’émerveille. Sur le littoral des Malouines, puis de la Patagonie argentine et chilienne, les algues brunes Macrocystis pyrifera bâtissent de véritables cathédrales sous-marines, dont l’importance écologique égale celle des forêts terrestres ou des récifs coralliens.

Aux Malouines, nous sommes invités à participer à des plongées d’exploration avec les équipes du South Atlantic Research Institute (SAERI) et du Shallow Marine Survey Group (SMSG), dont l’objectif est d’approfondir la connaissance moderne de ces écosystèmes. Alyssa Adler, scientifique états-unienne, nous plonge dans l’actualité de ces forêts, 2 siècles après les observations de Darwin.

1833

Il existe une production marine, qui de par son importance est digne d’une histoire particulière. C’est le kelp, ou Macrocystis pyrifera. Cette plante pousse sur tous les rochers depuis la laisse de basse mer jusqu’à une grande profondeur, à la fois sur la côte extérieure et dans les chenaux.

Le nombre d’êtres vivants de tous les Ordres, dont l’existence dépend intimement du varech, est merveilleux. Un grand volume pourrait être écrit, décrivant les habitants d’un de ces lits d’algues.

Je ne peux que comparer ces grandes forêts aquatiques de l’hémisphère sud, avec celles terrestres des régions intertropicales. Pourtant, si dans n’importe quel pays une forêt était détruite, je ne crois pas qu’autant d’espèces d’animaux périssent comme ici, de la destruction du Macrocystis.

– Charles Darwin, Voyage of the Beagle, 1833

2023

Les forêts de kelps de l’Atlantique Sud sont en bon état, notamment grâce à la faible pression anthropique liée à la faible densité de population. Elles jouent ainsi aujourd’hui parfaitement leur rôle d’habitat et de puis à carbone.

La comparaison des anciennes cartes du Beagle, qui font figurer l’extension des forêts de kelp, et de l’imagerie satellite moderne, vient précisément prouver le maintient de leur extension au cours des siècles.

Les forêts de kelp, présentes partout autour de la planète sur le littoral des océans polaires et tempérés, reculent nettement dans certains pays (Tasmanie, Afrique du Sud), à cause de pollutions locales comme le tourisme ou la pêche.

Le dérèglement climatique risque d’avoir un impact important dans les décennies à venir, notamment à travers les phénomènes d’acidification des océans et de tropicalisation.

1833

Il existe une production marine, qui de par son importance est digne d’une histoire particulière. C’est le kelp, ou Macrocystis pyrifera. Cette plante pousse sur tous les rochers depuis la laisse de basse mer jusqu’à une grande profondeur, à la fois sur la côte extérieure et dans les chenaux.

Le nombre d’êtres vivants de tous les Ordres, dont l’existence dépend intimement du varech, est merveilleux. Un grand volume pourrait être écrit, décrivant les habitants d’un de ces lits d’algues.

Je ne peux que comparer ces grandes forêts aquatiques de l’hémisphère sud, avec celles terrestres des régions intertropicales. Pourtant, si dans n’importe quel pays une forêt était détruite, je ne crois pas qu’autant d’espèces d’animaux périssent comme ici, de la destruction du Macrocystis.

– Charles Darwin, Voyage of the Beagle, 1833

2023

Les forêts de kelps de l’Atlantique Sud sont en bon état, notamment grâce à la faible pression anthropique liée à la faible densité de population. Elles jouent ainsi aujourd’hui parfaitement leur rôle d’habitat et de puis à carbone.

La comparaison des anciennes cartes du Beagle, qui font figurer l’extension des forêts de kelp, et de l’imagerie satellite moderne, vient précisément prouver le maintient de leur extension au cours des siècles.

Les forêts de kelp, présentes partout autour de la planète sur le littoral des océans polaires et tempérés, reculent nettement dans certains pays (Tasmanie, Afrique du Sud), à cause de pollutions locales comme le tourisme ou la pêche.

Le dérèglement climatique risque d’avoir un impact important dans les décennies à venir, notamment à travers les phénomènes d’acidification des océans et de tropicalisation.

Les forêts depuis la surface

Nous sommes à Cochon Island, au nord-est des Malouines. Sur la photo, une île, bien sûr, mais aussi, à gauche, au ras de l’eau, un nouveau terrain d’exploration. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il s’agit d’une parmi les nombreuses forêts des Malouines. Evidemment, parler de forêt peut sembler contre intuitif, sur ce territoire où les vents soufflent si continuellement que la végétation ne peut, dans l’extrême majorité des cas, pousser au-delà de la taille d’un arbuste.

Mais pourtant, vous avez bien sous les yeux des photos d’une forêt… aquatique ! Vous voyez les ondulations d’algues, au niveau de la surface de l’eau. Il s’agit d’une espèce du nom de Macrosystis pyrifera, communément appelée « kelp ». Darwin l’a largement décrite dans son livre « Le voyage du Beagle ».

« Je crois que pendant les voyages de l’Adventure et du Beagle on n’a pas découvert un seul roc près de la surface qui ne fût indiqué par cette plante flottante. On comprend tout de suite quelles services elle rend aux vaisseaux qui naviguent dans ces mers orageuses, elle en a certainement sauvé beaucoup du naufrage. »

Cette algues est en effet si grande que, bien que ses racines puissent se trouver à plus de 10 mètres de profondeur, elle pousse jusqu’à atteindre la surface où elle s’étale ensuite sur plusieurs mètres. Repérée à des centaines de mètres de distance, cette canopée ondulante indique précisément la localisation des hauts-fonds, nous permettant de les éviter.

Naturellement, nous restons bien à l’écart de ces forêts aquatiques, car les tiges solides de Macrosystis pyrifera risqueraient bien de s’enrouler autour de notre hélice, stoppant net le moteur et nous laissant à la merci des vents et des courants. Mais ces forêts me fascinent, autant qu’elles ont fasciné Darwin et tous les marins qui ont navigué dans les mers du sud. La décision est prise : pour mieux les comprendre, nous allons y plonger !

Préparation à la plongée

Préparez-vous à pénétrer dans un nouveau monde ! Darwin, s’il était fasciné par les forêts de kelps, ne pouvait guère que les apprécier depuis la surface. Mais cela ne l’a pas empêché de décrire très finement le type de biodiversité que l’on peut y trouver. Pour cela, rien de plus simple : il suffit de tirer sur les tiges du kelp depuis la surface.

Mais 200 ans plus tard, nous avons encore mieux : le scaphandre autonome. C’est une technique fort simple, que l’on avait déjà mise en oeuvre lors de notre exploration du Cap-Vert. Avec 45 minutes d’autonomie jusque’à 30 mètres de profondeur, nous avions pu alors observer attentivement le poulpe.

Cela fait déjà plus d’un an, alors il a fallu d’abord se réhabituer à porter le matériel sur le dos… dans une eau à 11°C. Nous utilisons toujours des combinaisons humides, mais cette fois-ci d’une épaisseur de 9 millimètres. Autant vous dire qu’elle ne sont pas faciles à enfiler… Et puis, c’est le grand saut.

S’il fait froid une fois dans l’eau, le premier aperçu des kelps est si fascinant qu’il fait bien vite oublier l’envie de greloter. Les ondulations des algues, les rayons du soleil qui percent la surface, la vision des troncs de Macrocystis pyrifera qui plongent dans les profondeurs… tout cela me donne furieusement envie de voir à quoi ça ressemble à une quinzaine de mètres plus bas. Rendez-vous demain pour découvrir ensemble ces paysages !

Un habitat pour la biodiversité

Bienvenue au cœur des forêts des Malouines ! Les immenses kelps s’élancent comme de véritables troncs, à la verticale, des profondeurs vers la surface. Ils s’y épanouissent alors en une canopée qui filtre les rayons du soleil.

Il est bien difficile de savoir où concentrer son regard, tellement la vie foisonne à plus de 10 mètres de profondeur. Darwin l’avait bien observé lors de son passage en Patagonie. Il écrit à ce sujet : « Le nombre des créatures vivantes de tous les ordres, dont l’existence est initient liée à celle de ces algues, est véritablement étonnant. On pourrait remplir un fort gros volume rien qu’en faisant la description des habitants de ces bancs de plantes marines. »

Sur le fond de roche, où les kelps accrochent leurs « racines », on trouve des dizaines d’espèces d’animaux, parmi lesquels des oursins (Austrocidaris canaliculata), des éponges (Polyzoa sp. – photo 2), d’énormes étoiles de mer (Labidiaster radiusus – photo 3), d’élégants nudibranches (Tritonia sp.) et des crevettes aux couleurs saturées (Campylonotus vagans – photo 4). Dans ces eaux d’une richesse infinie, les calmars viennent pondre leurs œufs, qui, accrochés sous forme de sacs aux racines des algues, se balancent au gré du courant (Doruteuthis gahi – photo 5).

En remontant progressivement vers la surface, j’observe des milliers de bivalves accrochés sur certains kelps (Gaimardia trapesina – photo 6). Au détour d’un autre, je fais la rencontre d’un petit crabe araignée (Eurypodius longirostris). Tout autour de nous, d’innombrables petits poissons naviguent en bancs entre les kelps, faisant le bonheur des oiseaux de mer, dont les manchots, qui s’en repaissent en surface.

Les forêts de kelps sont ainsi de véritables résidences pour des centaines d’espèces : on en comprend bien vite l’importance pour la biodiversité des Falklands. On étudiera dans les jours prochains l’évolution de cet écosystème si essentiel pour la vie marine et terrestre des îles.

Alyssa, la scientifique états-unienne

Voici Alyssa, une scientifique américaine qui travaille à une meilleure connaissance des forêts de kelps. Alyssa prépare une thèse à l’université de Duke (en Caroline du Nord), dont l’objectif est de comparer les populations de kelps entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud.

Macrocystis pyrifera, l’espèce de kelp que l’on trouve ici aux Malouines, est en effet présente sur un gradient latitudinal extrêmement important. On en trouve de la Terre de Feu, au Chili, jusqu’en Californie ! Le kelp peut se développer dans des eaux aux températures très différentes, à l’inverse d’animaux comme les coraux qui peuvent survivre à des variations de quelques degrés seulement.

Peut-on observer des variations morphologiques chez le kelp américain et le celui que l’on trouve aux Malouines ? La biodiversité que ces algues abritent est-elle différente à des milliers de kilomètres de distance ? Darwin avait déjà remarqué une variation dans l’écosystème créé par Macrocystis pyrifera, entre le sud et le nord du Chili. Il écrit à ce sujet : « À Chiloé, où cette algue ne croît pas si bien, on ne trouve sur elle ni coquillages, ni zoophytes, ni crustacés ; on y trouve cependant quelques Flustres et quelques Ascidies qui, toutefois, appartiennent à une espèce différente de ce elle de la Terre de Feu, ce qui nous prouve que la plante a un habitat plus étendu que les animaux qui l’habitent. »

Pour étudier finement ces variations, Alyssa identifie et quantifie attentivement la biodiversité qu’on trouve au pied des kelps. Elle prélève également des échantillons d’algues, qu’elle mesure et observe au microscope une fois dans son laboratoire. Certains échantillons subiront même des tests de composition chimique pour comprendre en détail les éventuels ajustements que l’espèce opère en fonction de son habitat.

Un travail passionnant, qui nous permet de comprendre plus finement l’incroyable écosystème qui se développe à l’intérieur des forêts de kelps.

L’évolution des forêts depuis Darwin

Comment se portent les forêts de kelps au Malouines, depuis l’époque de Darwin ? Cette question que je me pose, il se trouve que des scientifiques (emmenés par Alejandra Mora-Soto) se la sont posée également en 2021. Et ils ont réussi à en trouver la réponse, d’une manière extrêmement précise.

Rappelez-vous de la mission du Beagle, le bateau sur lequel voyageait Darwin : cartographier la pointe sud de l’Amérique du Sud. Certaines des cartes établies alors étaient si précises que certaines données collectées sont encore en usage aujourd’hui !

Ces cartes contiennent une donnée sur la biologie des lieux, et une seule : l’extension des forêts de kelps, signifiée par de nombreux filaments entrelacés (photo 2). Comme Macrocystis pyrifera représente un danger pour la navigation, ainsi que nous l’avons vu lors d’un post précédent, il est tout à fait logique que la présence des algues soit notée sur une carte marine.

C’est ainsi qu’une idée géniale a germé chez Alejandra Mora-Soto : comparer l’extension des forêts de kelps à l’époque précise où Darwin était aux Malouines et en Terre de Feu (1833 et 1834) à celle d’aujourd’hui, en utilisant d’un côté les cartes marines relevées par le Beagle et de l’autre des photos satellites modernes.

Quel est donc le résultat de cette étude ? Eh bien, que cet écosystème est à peu près aussi étendu aujourd’hui qu’il l’était il y a 2 siècles ! Alejandra Mora-Soto et ses co-auteurs écrivent : « Compte tenu des changements naturels et humains considérables au cours des deux derniers siècles, cet écosystème diversifié de kelp est remarquablement persistant. Dans le contexte actuel de changement global, le besoin de conservation de cet écosystème marin persistant et bien préservé n’a jamais été aussi important. »

Cette remarquable préservation que relève les scientifiques est sans doute due à une relative faible pression des activités humaines dans les lieux ou Macrocystis pyrifera se développe. La capacité de cette espèce à survire à des écarts importants de températures est également en jeu. Mais la partie n’est pour autant pas gagnée : les effets du réchauffement climatique sur cet incroyable écosystème pourraient bien renverser la tendance…

Plongée avec un lion de mer

Plongée inoubliable avec un lion de mer ⭐️ Incroyable… lors de ma dernière plongée sur les forêts de kelps, nous avons la chance, avec Margot qui m’accompagnait pour cette immersion, de faire la rencontre d’un lion de mer.

L’écosystème que ces algues abritent ne cesse de m’étonner, de m’émerveiller. Il est si rare, de nos jours, de s’immerger dans un lieu aussi sauvage et où la biodiversité fleurit sans entrave.

Je terminerai donc cette exploration, avant de remercier tous ceux qui l’ont rendue possible, par les mots de Darwin : « Je ne peux comparer ces grandes forêts aquatiques de l’hémisphère méridional qu’aux forêts terrestres des régions intertropicales. Je ne crois pas cependant que la destruction d’une forêt, dans un pays quelconque, entraînerait, à beaucoup près, la mort d’autant d’espèces d’animaux que la disparition de Macrocystis pyrifera. »

« Au milieu des feuilles de cette plante vivent de nombreuses espèces de poissons qui, nulle part ailleurs, ne pourraient trouver un abri et des aliments ; si ces poissons venaient à disparaître, les cormorans et les autres oiseaux pêcheurs, les loutres, les phoques, les marsouins, périraient bientôt aussi. »

Un rappel de notre responsabilité, en tant qu’humain, de prendre soin de la nature autour de nous, partout dans le monde.

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